L'autopsie d'une couple, tel est le fil conducteur de cette série créée sur HBO Max, inspirée d'un fait divers qui a défrayé la chronique. Michael Peterson (Colin Firth) a-t-il assassiné sa femme Kathleen (Toni Collette) ou a-t-elle fait une très mauvaise chute? Seul l'escalier de leur maison connaît la réponse...
La vérité est dans l'escalier
Accusé du meurtre de sa femme Kathleen en 2001, l'écrivain Michael Peterson n'a jamais avoué. Condamné puis relaxé, il reste une énigme. Basé sur "Soupçons", fameux documentaire de Jean-Xavier de Lestrade consacré à l'affaire,"The Staircase" refait l'histoire en 8 épisodes. Toute la dramaturgie s'articule autour de l'escalier, témoin muet d'une chute. Dès le générique, il se révèle le symbole de ce fait divers vertigineux.
Si les marches pouvaient parler, elles en auraient des détails à raconter sur cette nuit du 9 décembre 2001, quand Kathleen Peterson, le crâne ensanglanté, est retrouvée morte par son mari, au pied du grand escalier de leur manoir, à Durham, en Caroline du Nord. Michael Peterson, ex-marine devenu écrivain, est vite désigné comme le coupable idéal. Bisexuel et menant secrètement une double vie, ce patriarche d'une famille recomposée semblait vivre aux crochets de son épouse, cadre dans une entreprise de télécommunications, qui menait tambour battant sa carrière et son foyer... jusqu'à l'épuisement, après une soirée trop arrosée? Ou battue à mort parce qu'elle avait découvert le pot aux roses et les mensonges de son époux?
La bande-annonce de la série "The Staircase" (2022), avec Colin Firth et Toni Collette dans les rôles principaux. Diffusée récemment sur la RTS, elle est aussi disponible sur Canal+séries.
Accident ou féminicide?
Ce fait divers accumule les paradoxes. La scène est accablante: trente-cinq lacérations, hématomes, contusions dont sept blessures mortelles par lesquelles la victime s'est vidée de son sang pendant deux heures, avant que Peterson ne prévienne les secours. Or, dans un premier temps, tous les témoignages s'accordent pour décrire Kathleen comme une femme épanouie dans sa vie à cent à l'heure, entre un mari aimant et une tribu de cinq enfants - adoptés ou fruits d'unions précédentes - souvent réunis dans la demeure fastueuse du couple. Derrière les apparences, qu'elles soient à charge ou à décharge, que s'est-il vraiment passé cette nuit-là, à la veille de Noël?
En 2004, "Soupçons" ("The Staircase", l'escalier en anglais), un docu-série, pionnier du true crime, tourné par le réalisateur français oscarisé Jean-Xavier de Lestrade, avait suivi Michael Peterson dans les méandres de son procès, lui offrant une tribune unique pour s'exprimer face caméra. En 2012 et 2018, il a même été prolongé pour couvrir les rebondissements de l'affaire. Or à l'heure actuelle, 22 ans après les faits, le mystère reste intact. Vous l'avez compris: cette histoire qui a passionné les foules est un sujet en or pour une fiction judiciaire haletante en huit épisodes. Mais au-delà du casting quatre étoiles, la série se targue d'un générique ultra léché qui dramatise à fond un élément du décor, quitte à en faire un "personnage" principal: l'escalier, au bas duquel Kathleen s'est apparemment fracassée.
À la fois ludique et inquiétant, le générique, sur une musique de Danny Bensi et Saunder Jurriaans ("Ozark", "Tokyo Vice"), pose la série, telle une métaphore de toute l'histoire.
Un générique géométrique
En fait, ce prélude en images et en musique résume toute la complexité de l'histoire - et ses sous-entendus - en quelques traits. Le générique commence, comme résonnent les trois coups au théâtre: pas de personnages en gros plan avec des noms d'acteurs fameux en bandoulière. Non, c'est un escalier qui se dessine sur fond noir, comme une ligne blanche à la craie. Sobre entrée en matière, me direz-vous. Un peu minimaliste, certes. D'une marche à l'autre, on monte et on descend, au son du clavecin et du violoncelle, puis des violons qui vont crescendo, telle une puissante ritournelle. Et c'est là que tout se complique. Car l'escalier semble infini: il tourne sur lui-même, se cabre et donne le vertige. Soudain il se dédouble en de multiples ramifications, et ce sont des étages qui se forment entre les lignes, puis des chambres qui se créent, et enfin une maison immense - celle des Peterson, bien sûr! - apparaît, toute en transparence, comme un graphique, avec pour point de départ, l'escalier central, telle la colonne vertébrale de cette demeure, mieux, de cette famille.
Canapé, lampe en suspension, cheminée, tabouret de cuisine, ordinateur: les pièces vides, carrées, se meublent au fil du générique d'éléments du quotidien.... Pas de portes, mais des murs, juste ébauchés, qui se dressent tels les barreaux d'une prison. On dirait que tout le mobilier est en cristal, translucide, fragile, comme si tout était miroir où on pourrait se regarder, ou passer à travers... Mais toujours ce trait fin, entêtant, qui court sur l'écran et continue de faire naître un univers!
Se profile soudain un couple en traitillé qui discute sur un palier; puis des jeunes gens, telles des figurines décalquées, surgissent. Ils n'ont pas d'épaisseur, ce sont juste des ombres noires dans un décor bleuté. Chacun est seul, debout, dans sa chambre, comme enfermé dans son bocal de verre, d'où un nombre incalculable de pièces, comme si la maison était un gigantesque labyrinthe où on finit par se perdre. Les pièces tournent brusquement sur elles-mêmes et s'imbriquent, tel un Rubik's Cube. Soudain, le palais de glace semble s'affranchir du plan d'architecte où il était dessiné: la maison quitte la surface pour s'afficher en 3D, comme si elle nous sautait à la figure et nous absorbait...
Alors tout se dématérialise subitement et s'efface: tombent les murs, pièce après pièce! Pour revenir au point de départ: l'escalier esquissé à la craie, au centre de l'écran noir. Il bascule pour composer le titre de la série: "The Staircase". Mais en y regardant de plus près, une lettre sur deux est à l'envers. Preuve qu'il y a quelque chose qui cloche dans l'histoire qu'on va nous raconter.
Mais qu'est-ce qui nous déstabilise dans le titre de cette série? Les lettres à l'envers, comme le négatif d'une photo, indiquent déjà que les apparences sont trompeuses dans cette affaire troublante.
Lourd de sens, me direz-vous. Symbolique, métaphorique, le générique est la carte de visite de la série: son trait de génie. Porté par un fond sonore qui définit déjà l'ambiance, il habille la fiction qui va suivre, comme un papier cadeau qu'on déchire pour découvrir ce qui se cache dessous. Alors pourquoi mettre l'accent sur l'escalier et non sur les personnages?
Clash entre la cigale et la fourmi
Revenons à la fonction de cet élément d'architecture: dans sa maison, personne n'habite l'escalier, mais on l'utilise pour monter, descendre et pénétrer partout. L'escalier fait donc le lien entre les différents étages, mieux: c'est un trait d'union qui mène d'une personne à une autre, la clé de voûte autour duquel tournent toutes les pièces. L'affaire Peterson, qui met en lumière une famille dysfonctionnelle, n'est-elle pas justement une question de relations? Marche après marche, le patriarche de la fratrie, Michael, est un homme central qui se faufile à tous les étages et s'immisce dans la vie de ses enfants, pourtant adultes. Il contrôle ce qu'ils font, les réunit pour des grands raouts à la table familiale, prône les valeurs d'une famille soudée envers et contre tout. Mais il peut aussi se montrer colérique, intransigeant, si les siens ne s'avèrent pas à la hauteur de ses attentes. C'est lui qui donne le la, pendant que sa femme, Kathleen se tue au travail pour faire vivre le foyer, payer les traites de la maison, organiser les fêtes en grandes pompes.
Michael est un épicurien qui profite de son aura d'écrivain: il est la cigale du binôme, alors que Kathleen en est la fourmi. Le couple était en déséquilibre. Elle va en prendre conscience et le lui reprocher. Littéralement, elle est "tombée de haut" - toujours l'escalier, symbole du crescendo des émotions - d'autant plus qu'elle vient de découvrir qu'il est bisexuel et multiplie les sites de rencontre via son ordinateur. D'où une dispute fatale dans l'escalier?
L’ambivalence de cet homme soulève tant de questionnements. Mystérieux, sanguin, séducteur, menteur,émouvant, manipulateur, bref fascinant. Un personnage idéal pour une tragédie ordinaire, très américaine. Le créateur de "The Staircase", Antonio Campos l'a bien compris: contrairement au documentaire "Soupçons", sa fiction s'éloigne des faits de l'affaire pour se rapprocher de la vérité émotionnelle. D'où la colère du réalisateur français Jean-Xavier de Lestrade qui s'est dit "trahi" par la série, lui qui avait mis toutes ses archives à disposition du showrunner.
Autour de la table, où trônent Michael (Colin Firth) et Kathleen (Toni Collette), la famille Peterson au temps du bonheur, quand le foyer bruissait de rires et de discussions. Le jour du drame, seul le couple se trouvait dans la maison vide. Pour un face-à-face meurtrier?
Complexité annoncée
On en revient toujours au générique, hypnotique, qui préfigure la richesse de l'histoire et en livre déjà une interprétation. On n'y voit pas d'altercation ou la chute accidentelle de Kathleen, mais le face-à-face, en haut des marches, des deux principaux protagonistes, en ombres chinoises. Ce sont leurs personnalités opposées qui vont être passées au crible.
Le générique - de plus en plus sophistiqué depuis l'âge d'or des séries, pour preuve ceux de "Game of Thrones" ou de "La casa de papel" - se révèle comme une préface qui donne un avant-goût de ce qui attend le public. Il "travaille" pour nous, spectateurs, comme une tête pensante pour mieux nous éclairer. C'est un tableau dans le tableau, le cadre qui sert la profondeur de la toile.
Dans "The Staircase", il met en scène, graphiquement, la densité de l'affaire: les Peterson - et pas seulement Michael, suspect No1 - ont des secrets bien gardés, leur fratrie est hantée par les non-dits et les addictions en tout genre. C'est pourquoi, schématique au début - comme si tout était cousu de fil blanc - il se complexifie, jusqu'à faire apparaître une maison de verre, symbole de la tribu Peterson, avec des personnages fantômes difficiles à distinguer, mieux à cerner. Et puis tout se désagrège et disparaît dans l'escalier, lieu du crime. Tout est dit en 1 minute 32 secondes.
Alors quand les plateformes de streaming affichent sur l'écran "Passer le générique", surtout n'en faites rien. Savourez ces quelques secondes en images et musique, comme les préliminaires essentiels à la compréhension d'une série.
Le trailer du docu-série "Soupçons", de Jean-Xavier de Lestrade (2006), dont s'est inspiré le showrunner Antonio Campos pour rebondir sur l'affaire Peterson dans sa série "The Staircase". Colin Firth a été nommé aux Golden Globes 2023 pour son interprétation de Michael Peterson.
À voir:
"The Staircase": disponible sur Canal+série - "Soupçons" disponible sur Netflix et Canal+.
J'apprécie beaucoup ton article, qui a su m'intéresser à cette série en sachant nous interpeler par des images types à la portée de tout le monde. De plus avec un Colin Firth, qui nous interprète ce condamné et le point central de cette affaire non élucidée...Ton analyse est vraiment adaptée à la compréhension dechacun et nous pousse à regarder déjà le premier épisode. Merci.
J'ai beaucoup apprécié ta manière de nous faire partager cette série en employant des images qui sont adaptées à la compréhension de chacun et qui nous donne vraiment envie de voir déjà le premier épisode. Ton analyse ne peut que nous éveiller à cette affaire non élucidée. De plus avec l'acteur Colin Firth...Je vais la noter. Merci.
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RépondreSupprimerJ'ai beaucoup apprécié ta manière de nous faire partager cette série en employant des images qui sont adaptées à la compréhension de chacun et qui nous donne vraiment envie de voir déjà le premier épisode. Ton analyse ne peut que nous éveiller à cette affaire non élucidée. De plus avec l'acteur Colin Firth...Je vais la noter. Merci.
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