Fellow Travelers

 



"Fellow Travelers", c'est "Mad Men" sous MacCarthy: Hawk (Matt Bomer, à g.) et Tim (Jonathan Bailey, à sa dr.) se rencontrent en 1952 dans les couloirs du Congrès. Impossible de vivre leur amour au grand jour quand la peur violette, voisine de la peur rouge, empoisonne la société américaine. 

B(r)aise d'enfer

En pleine chasse aux sorcières, McCarthy s'en prend aussi bien aux communistes qu'aux homosexuels dans une société américaine conservatrice. Mais on n'éteint pas un coup de foudre! La preuve par Hawk et Tim dont on suit le parcours bouleversant des fifties aux années sida. Romantique et sociétale, sexuelle et politique, incarnée par un couple d'acteurs intenses, "Follow Travelers" ose donner corps à la cause. 

C'est l'histoire d'un amour fou entre deux hommes, Tim Laughlin et Hawk Fuller, sous l'ère du redoutable sénateur Joseph McCathy qui, via sa commission, traqua, dans les années cinquante, les communistes, mais aussi les homosexuels qu'on appelait à l'époque "déviants sexuels". Il écrivit l'une des pages les plus sombres des États-Unis.

Embarquez pour quatre décennies, au cours desquelles se succèdent la guerre du Vietnam, la révolution sexuelle pulsée par le disco, la montée de la drogue et la crise du sida. Créé par Ron Nyswaner, le scénariste de "Philadelphia" (1993) -  premier film hollywoodien traitant du sida et de l'homophobie - "Fellow Travelers"  brosse un portrait sans concession d'une Amérique en pleine effervescence qui cache ses secrets sous le tapis. Telle la lentille à fort grossissement d'un microscope, la série sonde l'humanité de ses personnages. Tous les personnages de l'Histoire! Car chaque strate de la société américaine est concernée par l'homosexualité: des riches aux pauvres, des artistes aux fonctionnaires d'Etat, des ecclésiastiques aux agnostiques, des hommes aux femmes. 

Huit épisodes denses et puissants, baignés de larmes et de sourires, de sexe et de sentiments, de rage et de transgression, d'anathèmes et de rédemption. Diffusé à l'origine sur Showtime (disponible actuellement sur MyCanal), "Fellow Travelers", adapté du roman éponyme de Thomas Mallon paru en 2007, est bien davantage qu'une série, c'est une saga romantique à portée politique et historique. 

Chemins de traverse

Drôle de titre pour un récit corrosif qui ébranle. L'allitération dans "Fellow Travelers" nous interpelle: cette répétition du "l" a pour effet, au-delà du sens, d'évoquer une certaine douceur: un bruissement d'ailes, comme un oiseau qui s'envole. Et l'envol, c'est la virée, le nouveau départ. N'est-ce pas la signification de ce titre, éminemment poétique, que l'on pourrait traduire par "Compagnons de route"? En deux mots, le ton est donné. Les héros voyagent ensemble à travers le temps et les épreuves, de 1952 à l'aube des années  80, en choisissant les chemins de traverse. Il y a une part de bravoure et de dissidence dans ces mots-là. À l'image de faire son coming out, une expression où la révélation de son orientation sexuelle passe par le mouvement (To come), parce qu'il s'agit de "sortir de soi" de se dévoiler aux autres.

Le voyage sous-entend aussi une évolution, au sens propre comme au figuré: Tim et Hawk vont être chamboulés, transformés par cette odyssée clandestine à deux. Leur couple est une aventure en soi, niée, impossible, jugée, et pourtant indestructible. Ce titre, si lyrique au premier abord, résonne au fil des épisodes comme un slogan: pour être ensemble et s'aimer, Tim et Hawk vont devoir "se bouger"! "Fellow Travelers", c'est bien l'appel à l'action, à la progression. Mais aussi à la résistance.




Quand aimer implique de mentir à tout le monde toute sa vie... au risque de tout perdre et de finir en prison. La bande-annonce de cette série militante au format saga distille une oppressante pesanteur. 

Des sourires et des hommes

Rarement un générique de série n'a été aussi cru, à la fois historique et libertin, mais sans aucune vulgarité. Tout commence par un air de violoncelle mélancolique qui égrène quelques notes entêtantes. Comme une rengaine un brin cafardeuse, dont le rythme s'accélère à mesure que défilent des photos, ou extraits de pellicule tournés avec une caméra 8 mm tremblotante. Des jeunes hommes, tous souriant face caméra, s'y tiennent par les épaules ou la taille, puis s'embrassent à pleine bouche, ou se languissent, nus, sur des rochers au-dessus de la plage. Autour d'une table, des femmes s'enlacent en riant. On boit, on chante, on s'étreint à la lumière festive des bougies. Ce sont des moments de réjouissances figés dans le temps.

Entre-deux scènes  de liesse s'intercalent des séquences de violence: des policiers casqués matraquent la foule et tabassent des hommes au poing levé et le visage en sang, le sénateur McCarthy tape rageusement sur la table, tandis qu'Harvey Milk, militant pour les droits des homosexuels à la fin des seventies, s'effondre sous les balles de son assassin...  Et toujours reviennent en boucle ces sourires un peu timides d'improbables couples qui, du GI sous les drapeaux au hippie à San Francisco, jouissent un instant de leurs baisers volés. En ouverture, ce générique reflète déjà ce qui caractérise le récit non linéaire qui va suivre, à savoir un mélange des temporalités, entre flashbacks et incursions dans le futur. 

Le générique défile comme les photos d'un album de famille ou les pages en noir et blanc d'un quotidien de l'époque. La B.O. est l'oeuvre de Paul Leonard-Morgan, qui a notamment composé pour les films "Limitless" et "L'Étrangleur de Boston". 

Difficile de ne pas être émus par ces images un peu vintage qui évoquent une époque pas si lointaine, mais font aussi écho à tous les racismes, persécutions et hiérarchisation des êtres humains. Pas de liberté acquise sans la gagner au prix du sang? Les scènes de bagarre en disent long...
Créée par le compositeur écossais Paul Leonard-Morgan -  titulaire d'un BAFTA (prix décerné par la British Academy of Film and Television Arts) en 2010 - la B.O., où le piano vient s'ajouter au violoncelle omniprésent, baigne toute la série dans une atmosphère tantôt haletante, tantôt nostalgique. On ressent comme une tension dans cette partition: comme si le temps pressait avant l'inéluctable. 

Partenaires particuliers

Pour incarner Hawkins "Hawk" Fuller et Timothy "Tim" Laughlin, fil rouge de ce récit, il fallait une bonne dose d'audace, d'élégance et surtout de sincérité. Car "Fellow Travelers" exhale une rage bien visible, qui n'est pas exempte d'un certain militantisme. La preuve par l'incroyable charisme de ses interprètes: les intenses Matt Bomer ("FBI: Duo très spécial") et Jonathan Bailey ("La Chronique des Bridgerton") affichent une alchimie évidente dans les rôles respectifs de Hawk et Tim. Plutôt rares à la télévision, les scènes de sexe frontales entre les amants résonnent avec d'autres oeuvres modernes, comme la série "Feud", de Ryan Murphy, sur les trahisons de l'écrivain gay Truman Capote, ou le film "Maestro", de et avec Bradley Cooper, qui dépeint l'attirance secrète de Leonard Bernstein pour les jeunes éphèbes. 

Matt Bomer et Jonathan Bailey ont la trempe des (anti)héros aux allures de gravures de mode vus dans "Mad Men", ce qui est plutôt agréable à regarder, même si un peu trop idéalisé tant l'esthétique est parfaite. Mais comme si on incisait au scalpel les costards bien repassés de Don Draper, protagoniste phare de la série "Mad Men", l'homme sous la chemise immaculée est pétri de nuances et de paradoxes. L'ordre patriarcal en prend un coup. Une certaine image du rêve américain aussi. C'est l'envers du décor, le secret des alcôves qui nous sont racontés. 



Sous les costards, la fièvre : Tim Laughlin (Jonthan Bailey, à dr.) et Hawk Fuller (Matt Bomer) sont brûlants d'authenticité dans cette épopée sentimentale plutôt crue, mais jamais obscène. On en oublie presque qu'il s'agit d'une romance gay, tant ils incarnent la passion amoureuse où n'importe qui peut se reconnaître.

À travers "Fellow Travelers", le showrunner Ron Nyswaner pointe du doigt les conséquences d'une homosexualité refoulée dans une société bien-pensante qui prône une image conformiste de ce que doit être le couple, l'amour. Hawk, malgré ses sentiments pour Tim, se marie et fonde une famille, préférant vivre dans le déni. Quant à Tim, militant anti-guerre puis travailleur social, il reçoit de plein fouet les répercussions d'une homophobie intériorisée qui avance masquée.

Salué par le public et la critique, "Fellow Travelers" pourrait avoir une deuxième saison, mais sous la forme d'une anthologie, comme "True Detective" ou "American Crime Story". Le producteur  de la série, Robbie Rogers l'a évoqué en septembre dernier dans le magazine Entertainment Weekly: "La série suivrait différents compagnons de voyage homosexuels à travers l'Histoire". 

Le titre intrigant de "Fellow Travelers", tel le point de départ d'une encyclopédie, camoufle pourtant sa véritable trajectoire qui est bien d'ajouter une nouvelle pierre à l'édifice de la représentation de l'homosexualité à l'écran. 



À voir:  

"Fellow Travelers": disponible sur Canal+ - myCanal.


Publié par Anne-Catherine Renaud



Commentaires

  1. Tu as très bien su décrire cette histoire qui retrace toutes ses années difficiles des USA. Cela montre une époque, peut-être aussi pour nous rappeler ces situation qui ne sont toujours pas réglées. Cela me semble très intéressant, comme tu le décris, la manière parfois aussi poétique, respectueuse que démontre le film et non forcément violente. C'est aussi bien qu'ils ont su réalisé cette histoire de ce temps là en l'interprétant comme à cette époque. Le sujet m'en apparaît très intéressant et je te remercie beaucoup pour ta description, qui me permet de découvrir cette nouvelle série..

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