"The Idol" (Lily-Rose Depp) ou la descente aux enfers d'une étoile montante de la pop.
SOS d'une idole en détresse
Contestée dès sa création, "The Idol", mini-série au parfum de scandale, portée par Lily-Rose Depp et le chanteur The Weeknd a explosé en plein vol. Cinq épisodes pour dénoncer les dérives du star-système qui auraient viré au clip sado-porno. Et si l'oeuvre du showrunner Sam Levinson n'avait pas été comprise? Décryptage d'un brûlot qui a déclenché un incendie.
En gros plan, une tête blonde. Moue boudeuse, lèvres charnues, deux grands yeux charbonneux dans lesquels on bascule comme dans le vide. Soudain, une voix ordonne de rire. La poupée au look baby-doll s'exécute, comme sur pilote automatique. Elle suit les instructions et passe successivement des larmes à l'effroi, puis aux frissons de plaisir. Un malaise passe... Un travelling arrière laisse soudain voir son corps gracile, drapé dans un déshabillé rouge qui couvre à peine ses seins. Derrière la femme-enfant, un immense tableau signé Steve Tepas, artiste contemporain, avec quatre têtes esquissées qui, à la fois, se font face et s'imbriquent l'une dans l'autre. Comme pour symboliser les différents visages que simule la starlette au premier plan. Clic-clac d'un appareil photo pour immortaliser la scène. Au premier plan, un rideau. Théâtre ou réalité?
Scène 1, épisode 1: Jocelyn (Lily-Rose Depp) se lance dans un shooting dénudé. En arrière-plan, une oeuvre conceptuelle du peintre Steve Tepas semble reproduire la dualité du modèle.
Observant la scène, un jeune homme - le directeur artistique de la starlette en négligé - lance cette phrase: "Mais cela envoie quel message?"
Toute la série "The Idol", mise en scène par Sam Levinson, tient en ces cinq mots prononcés dans les deux premières minutes de l'épisode 1. Et ce n'est pas une question au hasard, mais le fruit d'une réflexion amorcée dès le début de l'histoire: oui, cette série va en choquer plus d'un, mais quel en est le but? Parce qu'un showrunner comme Sam Levinson, dont le talent a été maintes fois reconnu, ne tourne rien à la légère. Il avance masqué, tel le peintre d'une autre réalité. Sa démarche artistique est très personnelle. Si vous avez été sensible à sa touche fantasmée dans "Euphoria", sublime série sur la quête identitaire des adolescents, alors préparez-vous à décrypter "The Idol", cet ovni qui a déchaîné les polémiques en ce début d'été très "show".
Le sens de la provoc
Le pitch du programme à abattre balance entre glamour et scandale. L'"idole" s'appelle Jocelyn, dite "Joss", une pop-star à la dérive, qui a sombré dans la dépression après la mort de sa mère et tente désormais de regagner la lumière. Déboussolée, elle tombe sous la coupe de Tedros, un gourou au passé trouble, accessoirement patron de boîte de nuit qui, percevant ses fragilités, lui propose de lui redonner l'inspiration. Avec ses "disciples", une poignée d'artistes post-pubères un brin paumés, Tedros prend le contrôle de la carrière et du corps de "Joss".
Portée par deux têtes d'affiche, Lily-Rose Depp, la "fille de", et le chanteur The Weeknd, dont c'est le premier rôle à l'écran, la mini-série se décline en cinq heures tumultueuses et sulfureuses à en perdre son latin, frisant parfois l'abjection, tant elles se révèlent dérangeantes.
Explicite, la bande-annonce de "The Idol", avec Lily Rose Depp et The Weeknd dans les rôles principaux de cette fable subversive.
Cinq heures, vu que la saison 1, crucifiée de toutes parts, a été raccourcie d'un chapitre. La faute aux audiences qui ont dégringolé en cours de route: si le premier épisode a attiré, selon le magazine "Rolling Stone", 3,6 millions de téléspectateurs, l'épisode 4 n'en aurait rassemblé plus que 133 000... Entre fascination et dégoût, "The Idol" était-elle taillée pour le succès? Première observation: la série, jugée misogyne et dégradante, ne pouvait pas tomber plus mal, en pleine ère post-Metoo. Mauvais timing. Une levée de boucliers était inévitable: critiques et spectateurs ont lâché les chiens. Dans les années 1980, on aurait peut-être été plus clément.
Pas question toutefois de poser un verdict sur "The Idol", que ces lignes ne cherchent ni à glorifier, ni à condamner. Mais à décoder. Un peu comme "L'origine du monde", oeuvre "scandaleuse" du peintre Gustave Courbet qui, le premier, a représenté un sexe féminin, plein cadre, sans artifice, privant même son modèle de visage. Culotté! Mais le tableau datant de 1866 est aujourd'hui accroché au musée d'Orsay, à Paris.
Le Minotaure en son palais
Ambiguë, audacieuse, mais avant tout profondément gênante, "The Idol" est à décrypter comme un tableau aux multiples clés, principalement artistiques. C'est la patte de Sam Levinson. Le décor - The Weeknd, co-producteur, a prêté son manoir à Los Angeles pour limiter les frais du tournage de la série, explosant de 54 à 75 millions de dollars - est un personnage à part entière: Jocelyn habite une fastueuse demeure d'un blanc immaculé, dans le quartier huppé de Bel Air. L'extérieur, éclatant, en met plein la vue. Mais l'intérieur est sombre, presque cafardeux, obscurci avec de lourds rideaux de velours. Une métaphore de Jocelyn, lumineuse, côté pile, avec ses cheveux blonds et ses tenues paillettes minimalistes, mais au caractère ténébreux et anxieux, côté face. Comme errante dans un labyrinthe de chambres où l'attend le Minotaure pour la dévorer toute nue...
La maison se distingue par des escaliers vertigineux qui s'enchevêtrent comme des corps enlacés. "Joss" les emprunte comme si elle descendait au tréfonds de son âme. De son statut de star, elle dégringole et se retrouve sous la coupe de son nouveau mentor, Tedros, bandana noué autour de la tête, cheveux ligaturés en queue de rat, et Ray-Ban fumées sur le nez.
Tedros (The Weeknd) envoûte "Joss" (Lily-Rose Depp) insidieusement.
Elle cherche l'inspiration? Le gourou, érigé en pygmalion, va lui apprendre à vivre ses chansons, à ressentir les mots à travers son corps, rappelant l'avant-gardiste "Je t'aime... moi non plus", de Birkin et Gainsbourg en 1969. Sa voix suave passe de la pop au soupir, puis au gémissement, dans un souffle en point d'orgue. Une façon de dire aussi que Jocelyn est indissociable de ce qu'elle chante. La musique - entièrement composée par The Weeknd - devient obsessionnelle.
Quel est le message, encore une fois, que "Joss" envoie à son public? Se définit-elle seulement comme une bombe sexuelle dominée par ses pulsions? Tedros la met face à ses choix.
C'est toute l'industrie musicale américaine qui est visée à travers "The Idol": le showbusiness, bien davantage qu'un miroir aux alouettes, distord la personnalité des artistes pour en faire des poupées de sons sexualisées à l'extrême. Sam Levinson n'est pas réputé pour sa pruderie, on l'a vu dans "Euphoria", mais pour son langage visuel imagé. À chaque séquence, il injecte, à dessin, une ambiance crue, fantasmée, à la frontière entre hallucination et perversité.
Une esthétique proche de la pornographie? Peut-être, mais "The Idol" évoque l'envoûtement, la dépendance, la dépression et la création dans un milieu interlope et sexiste. C'est assez chargé comme propos et Levinson et ses acteurs tapent dans le mille.
L'une des affiches de la série publiées par HBO ne laisse aucun doute sur le sujet de "The Idol".
La représentation du corps de la femme - Jocelyn est à peine vêtue alors que Tedros ne se dénude jamais - et la violence sexuelle - les yeux bandés, elle lui demande d'être maltraitée - sont au coeur de la controverse qui a éclaboussé la série jusqu'à la rendre obscène. Mais l'objectif serait-il respecté si Sam Levinson avait fait dans la dentelle? Érotisation exacerbée, scènes surjouées, fantasmes de viol, la sensualité s'acoquine avec la luxure et l'interdit dans "The Idol". Nous, spectateurs, sommes assimilés à des voyeurs et nous n'aimons pas le miroir qu'on nous tend.
"The Idol" n'a pas de générique qui pourrait édulcorer son propos: juste un titre en majuscules écarlates sur fond noir, comme un long carré rouge, un avertissement. Sam Levinson l'a dit au Festival de Cannes, où les deux premiers épisodes ont été projetés: "Notre show est là pour provoquer".
Blackpink à la rescousse
Mais à qui s'adresse cet ovni psychédélique qui défraie la chronique? Le showrunner a souligné le lien qui unit "The Idol" à "Euphoria": les deux séries baignent dans des univers similaires, où de jeunes adultes cherchent à trouver leurs marques dans un monde en proie aux addictions. Dans les deux cas, le spectateur se retrouve embarrassé par l'esthétisation à l'excès du propos.
Pour attirer les adolescents devant "The Idol", Levinson a engagé rien de moins qu'une reine de la K-pop, Kim Jennie, du groupe Blackpink.
Sam Levinson semble avoir pour coeur de cible, les jeunes: la série honnie par la critique a été bien plus suivie en streaming et sur les réseaux sociaux, que d'une manière linéaire via le câble. Selon une étude Nielsen (leader mondial de la mesure d'audience), les spectateurs potentiels en streaming ont en moyenne 21 ans de moins que ceux qui regardent HBO. La chaîne américaine s'est dite très satisfaite des résultats du programme, qui a créé le buzz plus qu'aucun autre. Même si ce n'est pas encore officiel, elle envisage désormais de donner une saison 2 à l'oeuvre de Levinson, prétextant que la première salve d'épisodes a servi à "poser le décor".
La rappeuse sud-coréenne Jennie Ruby Jane, alias Kim Jennie des Blackpink, excelle en danse dans "The Idol". Elle a été engagée pour fidéliser un public ado accro à la K-pop.
Très professionnelle dans le body de Dyanne, l'une des danseuses de Jocelyn, Kim Jennie ne transpire pas toute l'ambiguïté de "Joss", à laquelle Lily-Rose Depp prête une ambivalence fascinante qui cadre avec son personnage en souffrance. La preuve en images: Jocelyn se déchaîne sur le tournage de son clip jusqu'à s'en faire saigner les pieds, blessés dans ses stilettos vertigineux.
Des objets pour symboles
Justement, les accessoires, qui "parlent" mieux que les acteurs, ont une fonction révélatrice dans "The Idol": Sam Levinson - qui a tourné tous les épisodes en 35 mm - les sème au fil de la pellicule, tels les cailloux blancs du "Petit Poucet". Il y a d'abord le déshabillé en satin rouge - inspiré d'une célèbre photo de Marilyn Monroe par Slim Aarons - dans lequel se drape "Joss", mais qui servira aussi de noeud coulant à Tedros pour simuler un étranglement. Puis la brosse à cheveux de la starlette, symbole de la soi-disante maltraitance de sa mère abusive qui s'en serait servie pour la battre. Et bien sûr la cigarette, indissociable de Jocelyn, qui lui donne une contenance tout en rappelant que Lily-Rose Depp s'est beaucoup inspirée, a-t-elle confié à Cannes, de Sharon Stone dans "Basic Instinct" qui, à sa sortie en 1992, a scandalisé, comme "The Idol". La référence au film est partout: dans l'épisode 1, un écran télé, sis au fond du salon démesuré de la starlette, diffuse le polar, devenu culte, en continu. Notez que la brosse à cheveux a un rôle similaire au pic à glace dans "Basic Instint": elle détermine le retournement de situation à la fin de saison. Alors, Jocelyn est-elle une victime ou une manipulatrice?
Relecture érotisée de "La Belle et la Bête", descente en flèche de l'univers fake hollywoodien, ou délire narcissique d'un showrunner devenu présomptueux? "The Idol", quoiqu'on en dise, laissera son empreinte. Au-delà de la polémique qu'elle a suscitée, la série subversive de Sam Levinson - grand innovateur d'ambiances singulières - nous invite à "lire" l'image. Comme dans les tableaux de Memling, peintre flamand du XVe siècle, chaque objet mis en scène n'est pas là au hasard et chaque détail contribue à la compréhension de l'oeuvre dans son ensemble. Compte tenu qu'une série est avant tout initiatrice d'une atmosphère, décrypter l'image et en saisir les clés est le meilleur moyen de décoder "The Idol".
Le premier morceau de la BO de "The Idol", intitulé "Double Fantasy", interprété par The Weeknd en collaboration avec Future, reprend le titre du dernier album de John Lennon et Yoko Ono, en 1980. Il transmet l’essence même de toute la série.
"The Idol", saison 1, à voir sur Canal+, ou sur Sky Show (audio et sous-titres en anglais ou en allemand).
Malgré une réalité négative que tu nous as fait part et qui ne donne pas vraiment envie de découvrir cette série, j'ai apprécié que tu ais su mettre en valeur aussi les aspects fondamentaux positifs.
"Fellow Travelers", c'est "Mad Men" sous MacCarthy: Hawk (Matt Bomer, à g.) et Tim (Jonathan Bailey, à sa dr.) se rencontrent en 1952 dans les couloirs du Congrès. Impossible de vivre leur amour au grand jour quand la peur violette, voisine de la peur rouge, empoisonne la société américaine. B(r)aise d'enfer En pleine chasse aux sorcières, McCarthy s'en prend aussi bien aux communistes qu'aux homosexuels dans une société américaine conservatrice. Mais on n'éteint pas un coup de foudre! La preuve par Hawk et Tim dont on suit le parcours bouleversant des fifties aux années sida. Romantique et sociétale, sexuelle et politique, incarnée par un couple d'acteurs intenses, "Follow Travelers" ose donner corps à la cause. C'est l'histoire d'un amour fou entre deux hommes, Tim Laughlin et Hawk Fuller, sous l'ère du redoutable sénateur Joseph McCathy qui, via sa commission, traqua, dans les années cinquante, les communistes...
Evangeline Navarro (Kali Reis, à g.) et Liz Danvers (Jodie Foster) forment le nouveau tandem de la saison 4 de "True Detective: Night Country". Fantômes de glace On croyait "True Detective" voué à la dérive après le succès inégalé de sa saison 1, mais la Mexicaine Issia López, nouvelle showrunneuse, a relevé très haut le flambeau avec une quatrième saison engoncée dans les glaces de l'Alaska et deux policières têtes brûlées, incarnées par Jodie Foster et la boxeuse amérindienne Kali Reis. L'eau et le feu au coeur d'une nuit sans fin... Des corps nus givrés, recroquevillés de peur, mains tendues vers le ciel, comme un ultime appel, bouches bées tordues par un cri abyssal, yeux exorbités dont la pupille a disparu. Congelés en un seul bloc de glace, ces cadavres sont ceux de cinq scientifiques américains, employés à la station de recherche Tsalal, au fin fond de l'Alaska, territoire arctique un peu oublié des Etats-Unis, où les Inuits ont été soum...
"The Last of Us" ou un univers post-apocalyptique avec pour héros, Ellie (Bella Ramsey) et Joel (Pedro Pascal) Un duo insolite défie le crépuscule de l'humanité Dans "The Last of Us", diffusé récemment sur RTS1, la fin du monde est pour aujourd'hui. Victime d'un champignon parasite, les humains se transforment en zombies. Seuls face au désastre qu'ils comptent éradiquer, un baroudeur et une ado mystérieusement immunisée, font équipe pour sauver leurs semblables. Un sombre road movie en quête de lumière. Dès le générique, dont les notes s'égrènent à la guitare, le téléspectateur plonge dans un univers stylisé. Imaginé comme une peinture abstraite et inquiétante, où des lichens et autres végétaux serpentent sur l'écran jusqu'à l'envahir complètement, on sent qu'il n'y a pas de place pour l'être humain. La Nature a repris ses droits. " The Last of Us", pur produit de la chaîne câblée HBO qui l'a lancé le 15 j...
Malgré une réalité négative que tu nous as fait part et qui ne donne pas vraiment envie de découvrir cette série, j'ai apprécié que tu ais su mettre en valeur aussi les aspects fondamentaux positifs.
RépondreSupprimer