Yellowstone

 

Une tribu à la gâchette facile? Pas seulement. "Yellowstone", la série de Taylor Sheridan pilotée par Kevin Costner (au c.), est un éloge à l'Ouest américain et ses paysages sans fin, de plus en plus colonisés par les magnats de l'immobilier.

Le monde perdu de John Dutton

Le western coule dans les veines des showrunners américains. "Yellowstone" en est la preuve. Depuis 2018, la série propose un prestigieux retour aux sources, mais ancré dans la modernité. Dans la peau d'un cow-boy taiseux, Kevin Costner toise les promoteurs qui veulent raser son ranch pour domestiquer les grands espaces. Un combat perdu d'avance?




John Dutton (Kevin Costner) est le propriétaire du ranch Yellowstone, du nom du parc naturel éponyme. 

Travelling sur des paysages à perte de vue où les chevaux sauvages le disputent aux ailes des hélicos qui s'abattent, tels des vautours, sur la plaine. Fragiles graminées balayées par les vents, montagnes, forêts et séquoias millénaires nous en mettent plein les yeux. Assis au pied d'un arbre épargné par la foudre, le taiseux John Dutton, son Stetson entre les mains, se fond dans le décor. Devant lui, fichée dans la terre, une pierre tombale. Le veuf inconsolable cache ses émotions. Mais on le pressent: son ranch, ses terres sont sa seule raison de vivre encore.

"Yellowstone", c'est d'abord une ode à la beauté saisissante du Far West. Au Montana - à la frontière canadienne - et en Utah, là où est tournée la série, la puissance de la Nature est cinématographique. 
Vastes plaines, à l'herbe sèche, qui s'étendent jusqu'au bout de l'horizon, là où s'esquissent des troupeaux, dont on ne voit que l'échine et les cornes des vaches noires, comme brûlées par les rayons du soleil. Plus loin encore, majestueuses, s'arcboutent les Montagnes Rocheuses. Démesuré, le ciel couleur cobalt, parsemé de nuages moutonnants, surplombe le tout, disposé tel l'hémicycle d'une salle de spectacle. 

C'est bien la Prairie qui est l'héroïne de cette série. Les personnages sont forts, mais elle leur tient toujours tête. Elle n'a pas besoin de parler pour qu'on l'écoute. Le générique  - composé par Brian Tyler -  en épouse la grandeur. Déluge de violons, coups de timbales en sourdine s'unissent en une puissante bande-originale en la mineur qui nous entraîne dans un Ouest lointain crépusculaire. Là où s'ébrouent les chevaux et tournent les rodéos sur fond de fumée industrielle et de puits de pétrole. Car "Yellowstone" est un western contemporain, gangréné par les projets immobiliers. Les promoteurs veulent raser la plaine et le ranch de John Dutton pour qu'on voie leurs parcs d'attraction et leur aéroport. Ils s'appuient sur quelques politiciens cupides en mal de réélection, mais aussi sur les Amérindiens - spoliés par les premiers colons et casés dans une réserve parallèle au ranch - qui comptent bien prendre leur revanche.




À la baguette, le compositeur Brian Tyler dirige l'orchestre qui joue le générique de "Yellowstone". La performance est entrecoupée d'extraits de la série.



Un bodyguard au Far West

La force du propos tient à la présence de Kevin Costner au générique. Pointure du grand écran, le héros de "Danse avec les loups" fait vibrer l'imaginaire des téléspectateurs et tape dans l'oeil des élites. S'offrir Costner dans une série, c'est un gage de qualité, a pensé le showrunner Taylor Sheridan ("Sicario") qui amène ainsi le cinéma au petit écran. 

Visage tanné par le soleil et le vent, regard d'un bleu perçant où se reflète le décor, John Dutton est l'incarnation du rêve américain. Dans "Yellowstone", le rêve en question a pris un coup. Comme les Indiens ont été dépouillés de leurs terres, c'est aujourd'hui les cow-boys, prédateurs d'autrefois, qui sont dépossédés de leurs biens. La roue tourne. Deux mondes s'affrontent: les magnats du bitume contre les richissimes propriétaires terriens qui ont gardé leur âme de fermiers. Mais il est aussi question de deux temporalités: le présent et le passé. Taylor Sheridan, Texan pure souche qui a écrit chaque épisode, revisite la légende, mieux: l'Histoire américaine, en portant un regard sur les valeurs héritées des pionniers, fondements d'un pays qui s'est construit il y a tout juste 250 ans. 

Flanqué de ses trois enfants - la cynique Beth, ses frères Jamie, avocat introverti, et Kayce, vacher rebelle marié à une Indienne - John Dutton défie l'influent promoteur immobilier, Dan Jenkins, et le représentant de la réserve indienne, Rainwater. Mais la famille Dutton est au bord de l'implosion, asphyxiée par les non-dits et les souvenirs douloureux. Certain de sa légitimité patriarcale, John, droit dans ses bottes et Winchester à la ceinture, se bat pour sauver ses terres et perpétuer ses traditions de cow-boy. 

La diva des prairies

Parmi les membres de la tribu Dutton, on demande la fille! Beth, la cadette de John Dutton, porte un lourd secret. Ne vous fiez pas à ses yeux bleus sous ses mèches blondes, la fille du ranch est une tornade. Elle est l'autre personnage principal de "Yellowstone". 
Redoutable, sulfureuse, intelligente et mystérieuse, elle peut se montrer à la fois détestable et émouvante. C'est elle la reine de cette saga.  


Beth (Kelly Reilly), la fille chérie de John Dutton, est peut-être la plus dure du clan. Pour canaliser ses démons, elle compte sur Rip (Cole Hauser). 

C'est surtout elle, la femme d'affaires, John Dutton, lui, reste un cow-boy. À cheval entre le passé et le futur, Beth, profondément attachante, a la rage. Elevée à la dure dans un monde de mecs d'une brutalité extrême, elle est une survivante. Le clan ne peut pas compter sans elle. Acquise, plus que de raison, à la cause de son père, elle se révèle jusqu'au boutiste. 
Ravagée par l'alcool et hantée par ses cauchemars, elle sait bien que le monde de John Dutton est déjà perdu par la force des choses... Mais elle veut tirer son épingle du jeu. Non, elle ne mourra pas avec le ranch familial, proie des industriels véreux!
Lucide, Beth pressent que le mode de vie des Dutton est dépassé, inadapté à la société actuelle. Les expressions de son visage trahissent sa mélancolie: le Far West et ses troupeaux de longhorns est un univers de carte postale, de folklore et de fantasmes: une destination de carnet de voyages. 

Une série politique?

Certains ont cru bon d'ériger "Yellowstone" en porte-drapeau des idées de la droite républicaine. Comme si elle était taillée sur mesure pour flatter le milieu conservateur. Une étiquette un brin sommaire. Son succès transcende les partis politiques en jouant à fond la carte du patrimoine à sauver, de la Nature à préserver. Elle élève le débat et rassemble. Plus de 12 millions de téléspectateurs se sentent concernés, sacrant "Yellowstone" comme la saga la plus regardée d'Amérique. 
Ses audiences en constante progression prouvent aussi que la télévision - la série aux 5 saisons est diffusée, depuis sa création en 2018, sur la chaîne Paramount Network - a encore l'ascendant sur les plateformes de streaming. 

Qui dit encore que le western est ringard? Entre soap-opera et drame des temps modernes, "Yellowstone", loin des clichés du genre, brasse enjeux identitaires, économiques et politiques avec, en toile de fond, la nostalgie d'un monde rural, au magnétisme intact, qui s'efface peu à peu au nom du progrès. John Dutton est un héros anachronique. On l'aime pour son authenticité. 



Le trailer de la saison 5 qui va clore cette épopée. John Dutton en sortira-t-il indemne?


Par ici la suite: Taylor Sheridan, le showrunner de ce conte épique, continue de feuilleter le livre d'images de l'Histoire américaine, en tirant des préquels de "Yellowstone", série qui s'arrêtera à la fin de la saison 5 avec le départ annoncé de Kevin Costner. Deux spin-off ont déjà vu le jour: "1883", portée par Sam Elliott, narre la conquête de l'Ouest par les colons, ancêtres de John Dutton, et "1923", avec Harrison Ford et Helen Mirren, relate la suite de leur vie, impactée par la Prohibition, avant le krach boursier de 1929. Le 6 mai dernier, la Paramount a annoncé "6666", l'ultime volet de cette trilogie, ou l'histoire du légendaire Ranch Four Sixies, au Texas, où certains Dutton ont fait escale. Matthew McConaughey ("True Detective") y tient le rôle principal. 

Les quatre premières saisons sont disponibles en DVD & Blu-Ray. La saison 5 est en cours de diffusion sur la RTS.  



Publié par Anne-Catherine Renaud





















 


Commentaires

  1. Tout ce dévoilement de cette série va m'inciter à en regarder un premier épisode dès que possible. Merci de m'en avoir donné un avant goût. Bravo!

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