Succession
La saison 4, actuellement sur la RTS, sonne le glas de la série "Succession": attendez-vous à un ascenseur émotionnel qui donne le vertige. Depuis 2018, la tribu Logan se déchire pour l'empire contrôlé par leur tyran de père.
Le chant du cygne pour les Roy de l'Olympe
Les parfaits scélérats de la tribu dynastique aux manettes de "Succession", emmenée par le patriarche Logan Roy, magnat des médias, disposent de dix épisodes pour tirer le rideau. Ça va saigner dans cette saison 4, dernier acte shakespearien, où tous les coups de théâtre sont permis.
Logan Roy (Brian Cox), inspiré par le magnat Rupert Murdoch, règne en patriarche tyrannique et s'amuse à monter ses enfants les uns contre les autres. Au point de les pousser au parricide?
Jetez un oeil à l'affiche qui habille l'ultime saison de "Succession", brillantissime saga familiale créée par le Britannique Jesse Armstrong en 2018 sur la chaîne américaine HBO (actuellement sur RTS1): ils sont tous sur le même bateau, les membres de la tribu Roy, comme s'ils se disputaient la proue du "Titanic". Qui sera le Roy du monde médiatique, via la Waystar Royco dirigée de main de fer par le tycoon Logan Roy (Brian Cox, au centre), 80 ans, qui ne lâche rien, en dépit de son coeur fragile?
Il est venu le temps de jouer la montre pour chacun des aspirants. Dix épisodes pour conclure la saga aux 52 trophées, dont l'Emmy Award de la meilleure série dramatique en 2020 et 2022.
En première ligne, ils sont trois fils, Connor, politicien de pacotille, Kendall, ex-toxico en mal de reconnaissance paternelle, Roman, outrancier enfant gâté, et une fille, Shiv, la soi-disante démocrate aux dents longues: tous veulent reprendre le contrôle de la firme des mains de leur père. Autour, bien sûr, la cour! Ex-femmes du patriarche, petit-neveu éloigné - l'irrésistible Greg, touche comique du show - conjoints intéressés, tel le futur ex-mari de Shiv, Tom, qui a gravi les marches de cadre à la Waystar Royco, mais aussi conseillers et sous-directeurs ambitieux. Ils sont tous embarqués, avec leurs ruses et leur fourberies pour seules armures, sur le "Titanic" de la finance.
Cette arche de Noé d'un nouveau calibre coulera, ou ne coulera pas?
Le générique, sur la musique composée par Nicholas Brittel couronnée d'un Emmy Award en 2019.
La force de "Succession" commence par son générique, grandiose comme une symphonie classique. C'est l'un des plus longs de toutes les séries actuelles: une minute vingt-cinq secondes pour retracer, comme un film de famille en 35 mm, le passé d'un clan dysfonctionnel. Sur la pellicule tremblotante au grain vintage, les visages de quatre enfants mélancoliques, tirés à quatre épingles, côtoient les clichés de leur fastueuse demeure - garnie de transats et de poneys dans les prés - mais aussi les gratte-ciels de la Waystar Royco et les écrans de l'empire des médias qui clignotent en continu sur Time Square. C'est un "Dallas" 2.0, une sorte d'hybride croisé avec "Game of Thrones", qui s'ouvre sur vos écrans.
Un homme - Logan Roy, le patriarche - toujours filmé de dos, les bras croisés derrière son costard, semble hanter les lieux. Aucune accolade, rien d'affectif, sourires crispés dans ce travelling familial. L'ambiance est posée, portée par la puissance des notes qui martèlent cette ritournelle obsédante. Pas étonnant que le compositeur Nicholas Brittel ait décroché un Emmy Award en 2019 pour cette oeuvre inspirée du XIXe siècle, modernisée par un beat hip-hop ébréché, qui sert de prélude à la série.
Cinquante nuances de cruauté
Si tout est sur le même ton lyrique que le générique, on entrevoit déjà la tragédie. Que s'est-il passé entre ces images d'Epinal et le présent où les Roy alignent les coups bas? Pourquoi ces jeunes héros sont-ils devenus si corrompus et arrogants? Le générique lève le voile: la faute en grande partie à ce père, sans visage, dont la seule présence au fil des séquences fait froid dans le dos. Logan (excellent Brian Cox) se comporte en "Roy" de l'Olympe, à l'image d'un cruel Jupiter dévorant ses enfants chéris. Cela fait trois saisons que le fondateur ambivalent de la Waystar Royco balade ses gamins entre l'espoir d'une part du gâteau et le sempiternel désaveu. Il n'a de cesse de les monter les uns contre les autres, de les humilier du haut de son grand âge. Sa tribu? Il la gère comme on joue à un gigantesque Monopoly: une gommette pour Shiv, mais retour à la case prison pour Kendall, ou l'inverse! Logan Roy est parfaitement détestable.
Or cet immigrant écossais, qui a réalisé le rêve américain en autodidacte, est en fait un vieux lion anxieux qui craint secrètement que ses descendants, nés une cuillère en or entre les dents, ne soient pas à la hauteur de son empire. Et il ose le dire, le bougre: "Je vous aime tous", leur lance-t-il, aussitôt amendé par "mais vous êtes des clowns pour moi".
Logan Roy (Brian Cox, à dr.) a les crocs: il est prêt à tout sacrifier, y compris sa progéniture (ici son cadet Kendall, interprété par Jeremy Strong) pour garder le contrôle de son empire médiatique.
Tuer le père
Ce qui nous scotche à "Succession", c'est la qualité de l'interprétation. Les acteurs sont à la hauteur du défi, comme habités par leurs personnages, vénéneux et attachants à la fois. On les aime pour leurs nuances, leurs défauts aussi.
(Attention, spoilers!)
De ce fait, quand le patriarche est subitement à terre, foudroyé pour de bon par une crise cardiaque au troisième acte de la saison 4, les enfants Roy retrouvent soudain leur fragilité: déboussolés, ils tombent dans les bras les uns les autres, et nous avec, sidérés devant l'écran. Non, ils ne s'entredéchiraient pas seulement pour les milliards du titan tyrannique, ils voulaient gagner l'attention de leur père. Ils se retrouvent sur le carreau, sans avoir rien obtenu: ni l'héritage, ni la reconnaissance de leur géniteur. L'intensité de cet épisode-clé est palpable.
On a tous souhaité qu'il crève, ce despote apparemment sans coeur. Mais la stature du personnage de Logan Roy dépasse la fiction, elle est devenue réelle. Et on se retrouve orphelins avec une seule question: comment va évoluer cette histoire sans son Minotaure? Il fallait oser tuer le personnage principal, au risque de redistribuer toutes les cartes.
La méchanceté dure, mais les êtres trépassent. Alors, que nous réserve l'épilogue de cette saga palpitante (à l'heure où j'écris ces lignes, on attend le 6e épisode sur RTS1)? Après un tel coup de théâtre, que peut-on attendre de plus puissant? Une rédemption, un suicide collectif?... Les anti-héros shakespeariens de "Succession" poursuivent leur cheminement vers le mot "Fin". On les suivra jusqu'au bout.
À voir sur RTS1, tous les lundis, autour de 22 h 30 ou sur Play RTS.
À voir sur Prime Video.
Publié par Anne-Catherine Renaud
Un commentaire d’un enthousiasme communicatif. Ça donne vraiment envie!
RépondreSupprimerMerci pour votre message! Si cela vous donner envie de vous intéresser aux séries tout en lisant mon blog, c'est top.
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RépondreSupprimerMerci!
SupprimerTrès belle plume précise et poétique, qui plonge le lecture dans l’univers de la série et lui donne envie de la regarder!
RépondreSupprimerMerci pour le message très sympa! Super si cela vous donne envie de regarder cette série après l'article.😃
SupprimerJ'aime beaucoup ton emploi d'images retraçant des personnages similaires, comme dans la mythologie grecque. Ton texte est excellent. Bravo!
RépondreSupprimerMerci d'avoir pris le temps de lire l'article et d'avoir laissé un commentaire sur un aspect du texte! 😊
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